En hommage à mon maître en écriture : Céline
S A I N E H A I N E !
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“ J’ai mérité la haine universelle de la société de mon temps.
J’aurais été fâché d’avoir d’autres mérites aux yeux d’une telle société ”
Guy Debord
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L’aube venu, quand j’évacue mon taudis je suis contraint de croiser mes semblables, minables devrais-je plutôt écrire, un haut le cœur me saisit à la gorge. Une bouffée fielleuse grimpe du fion. Nausées bileuses. Fruit du courroux des cœurs forts et puissants (Zola) Du même dans mes haines ; si je vaux un tant soi peu c’est que je suis seul et que je hais. Je hais, j’exècre, j’abhorre, j’abomine, je vomis sur tout et sur tous. Cette précieuse liqueur baudelairienne, poison plus cher que celui des Borgia, car il est fait de mon sang contaminé, de mon sommeil cauchemardesque. J’en suis avare, c’est l’encre spermatique de mon talent. Je déteste légitimement mes semblables : épaves formatées, inconscientes de leurs conditionnements désespérément pendues à leurs manies. Meute pleutre. Harde en guenille. Clique bêlante. Zéros en nombre. Zéros évidés. Zéros translucides. Zéros évanescents. Des bulles excavées et percées.
Néant dans un vide sidéral
Et moi, lâche, qui clapote dans cette mare stagnante et fétide. Contaminé. Mais avant de servir de pâture à la vermine dans une fosse publique, il faut que j’accouche aux forceps mon exécration de l’autre. De vous. De toi qui me lis. Le dégoût que vous m’inspirez jusqu’à l’écœurement. Picarro bouffon je m’assume et m’amuse. Vos lâchetés et faiblesses me ragaillardissent. Saine haine, tu m’es moteur. Pas de bornes, pas de nuances dans l’abhorration qui aiguise et stimule ma plume bâtarde. Je suis un brave chevalier qui monte célibataire et s’expose corps et âmes au Pont d’Arcole. Je guerroie à l’avant-garde pendant que les planqués sirotent leur Dom Pérignon à l’arrière, comptant les points qui leurs donneront droit à galons, décorations et bimbeloteries autrement baptisée : Légion d’honneur. Quelle horreur ! La seule fanfreluche que j’exhibe avec fierté : FILS DU PEUPLE. Je n’ai rien fait pour l’obtenir, comme les honorés au demeurant, mais je me l’épingle sans vergogne. J’ai l’âme sale mais moins pourrie que la moyenne. Tout est bon : insultes, mensonges, sarcasmes, vilénies, calomnies mariant dans une mare croupissante et glauque de grossièretés. J’ai ma devise pendue en bandoulière : “omnium porcorum porcissimus”
Le plus porc de tous les porcs
Je me fagote en peau d’épouvantable crotale lubrique et pervers, sépulcre d’abomination. Gens de bonne compagnie haïssez le satire que je suis car je ne vous épargnerai pas. Je ne suis rien. Je fais surtout le mal. Le bien si rarement, c’est ma seule faiblesse. J’obéis toujours quand j’ordonne. Je reçois plus que je ne donne. Rejetez-moi. L’âge venant, la haine de moi ne fait que grandir. Je suis un vieux échalas édenté, décrépis, pontifiant, nostalgique du bon temps d’antan. Une vomissure de réactionnaire qui convulse misérablement dans son taudis poisseux. Je plante votre torchon tricolore dans le fumier. A bas la démocrassouille. A bas les démocrassouillards et autres politicards. Impuissant devant ma lente décomposition, plusieurs mois de déchéance physique : jambes boursouflées, ventre au bord de l’implosion, jambes infestées de boutons, pieds boursouflés sur un visage décharné, cadavérique, masque de cire à la Joe Bousquet, peau collée sur un squelette. Mort-vivant je suis. Je suis entrain de tirer définitivement le rideau noir de ma vie. Qu’on me laisse crever en paix. Seul, comme un clébard. Que personne ne m’assiste. Je veux être le seul spectateur de ma putréfaction.
Je sens monter mollement, depuis mon bas ventre, une pesante barre. Cette assurée ascension m’oppresse. Elle me paraît inexorable, aucun obstacle ne saurait la stopper. Elle poursuit avec assurance son chemin vers je ne sais quelle destination.
Quel est le but ? Plus elle s’approche de ma gorge, plus j’angoisse. Cette chose veut m’étrangler, m’étouffer. Je suis opprimé, compressé, je me dégrafe et sue d’abondance. Je macère dans mon âcre jus fait de sang pourrave. Cancer des tapioles oblige. Merci saigneur. Seigneur, t’as oublié ta miséricorde dans le pissoir où tu t’es
Piné Saint Popaul. Petit salopard !
Le rideau tombe
Fermeture définitive. Ma fin est annoncée. Inéluctable. Je serai fauché dans une trentaine de jours. Je puis être aussi précis puisque je compte m’anéantir. Car à l’image de Crevel : l’élan de mort me transporte. Je souhaite en avoir le courage.
De tous temps je suis fasciné par le suicide. Le hara kiri mystique de Mishima, Gary en tenue de Compagnon de la Libération qui se flingue avec son Mauser dans son lit, Bory qui s’absente définitivement après une déception amoureuse, Navarre, Arenas et tant, et tant. Le suicide est un exercice de liberté et de maîtrise de sa vie. Je n’ai pas choisi d’être là, ici et maintenant, pourquoi vouloir m’empêcher de choisir ma porte de sortie ?
Ce plaisir si simple, ce noble exercice de liberté. Hemingway, tu es devenu ton propre gibier, Crevel pulsion de mort, Reinaldo, à 47 ans, tu as courageusement arpenté la colline de l’ange noir, Cyril l’amour t’a condamné, Jean-Louis mortelle maladie d’amour, Hervé ton protocole avec Thanatos ne fut nullement compassionnel, Yves un maléfique galopin a bouffé ton corps, Romain ta vie était derrière toi pourquoi s’entêter ? Pier Paolo, tu as délégué Pino pour commettre l’acte impur, Yukio, tu as tombé théâtralement le masque.
Décomposition-Provocation
Je me suis rendu compte que même mon désespoir ne sert plus à rien et n’a de sens. Personne n’est interpellé. Je m’époumone dans un désert meublé de millions de sourdingues, êtres dits vivants. La mort n’est qu’une partie de ma trajectoire de vie, je suis né pour mourir. L’immortalité ? Quelle prétention. Une vie paradisiaque avec au menu perpétuel : la pomme d’Adam. Indigestion diarrhétique. Non merci, pas pour moi, ça. Je n’ai pas choisi d’être là, ici et maintenant, pourquoi vouloir m’empêcher de choisir ma porte de sortie ? Ce plaisir si simple, ce noble exercice de liberté. Les belles âmes s’indignent de l’euthanasie, hurlent à l’eugénisme et glorifient l’acharnement thérapeutique dans des mouroirs indignes de l’ordure Goebbels. Facile à écrire : Celui qui a appris à mourir, a désappris à servir. Je n’ai jamais servi, nativement réfractaire à toute forme d’autorité. Un sage à proclamé : Il est plus facile de mourir que de vivre. Oui mais avoir le courage de se mourir ?
Cette vie : insupportable. Mais je suis trop lâche pour l’abréger. Je ne suis ni Gary, ni Mishima.
Né en 1951 – Néant 20..
Thanatos a cruellement sévi dans mon champs d’amitié et fauché de prometteurs fleurons : Boubou de l’Huma Dimanche, Kriss couturier, Michou mon coiffeur, Fanchon le Compagnon du Devoir, et tant d’autres. Mon arbre de vie est sérieusement émondé : Popo la théâtreuse du Canau de Montpellier, Pierrot grand frère mon camarade ambassadeur, Gastounet de Narbonne.
Je me retrouve sans bras ni jambe, seul le tronc résiste encore. Mais pour combien de temps ? La rubrique nécrologique du régional me paraît particulièrement prédestinée. Je suis presque étonné de ne pas y lire mon nom. Mon père vient d’inaugurer notre dernier gîte des familles. Ma plaque est prête :
“Ici gît un homme libre. Je fus mon seul dieu et maître”.
Dernière facétie. Dernières volontés. Mes cendres seront répandues par plein vent du haut de la falaise de La Franqui portées jusqu’au Maghreb, ma terre d’amour, où je rejoindrai mes sœurs et frères de cœur. Mes gémissements ne sont points doléances. Je ne suis pas à plaindre. Et ne veux pas l’être. La compassion m’est tout autant insupportable que la charité. L’heure a sonné du solde de tout compte, mais je n’ai de compte à rendre à personne sinon à ma conscience. De biens grands mots pour dire tout simplement que je n’ai pas à avoir honte de la vie que j’ai menée. Vie faite de bric et de broc, avec une constante : mon bon plaisir.
Hédoniste des choses, rabelaisien de la chair. J’ai pratiqué la politique de l’autruche en prenant la fuite. A quoi bon perdre son temps en explications quand le combat est perdu d’avance. J’ai longtemps considéré la fuite comme une lâcheté, comme un refus du réel. La lecture de l’ouvrage d’Henri Laborit “Eloge de la fuite” m’a réconforté. Je n’ai pas lu les 190 pages poche de Laborit, trop dense, mais j’ai retenu que :
Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté. Il ne reste plus que la fuite.
M’enterrez pas sitôt, bande de naze
«La maladie ne fabrique pas l'écrivain. L'écrivain l'utilise, comme il utilise tout. En d'autres temps, a-t-on déclaré une culture de la syphilis ou de la tuberculose? Maupassant ne s'affiche pas comme l'écrivain de la syphilis. Pas plus qu'Albert Camus ou Thomas Bernhard ne sont ceux de la tuberculose. Le sida, la tuberculose, la syphilis deviennent le prétexte qui offre à l'écrivain son dialogue avec la mort. C'est cette confrontation qui nourrit leurs livres.» M. de Rabaudy (L’Express)
“La mort, on la bâillonne, on la censure, on tente de la noyer dans le désinfectant, de l’étouffer dans la glace. Moi je veux lui laisser sa voix puissante et qu’elle chante, diva à travers mon corps.” Hervé Guibert.
Ne m’enterrez pas sitôt bande de naze. Je suis toujours là et je vis, je m’empiffre, je bouquine, j’écris et je baise. Ne vous en déplaise. Je jouis de tout à tout instant.
Certes, nombre de mes frères sont partis. Simplement ils ont oublié de prendre le billet retour. Insouciants petits cons. Bande de veinards, maintenant vous touzez avec les anges, courtisés qu’ils sont par des éphèbes blonds sous le regard lubrique de Cyril Collard, Hervé Guibert et Yves Navarre. Grace à cette putain de maladie, merci, je goûte encore plus la vie. Maitre Sida m’a boosté. Une minute de gagnée vaut trois heures de baise effrénée. Ma création littéraire a explosé. J’ai pris le recul nécessaire, élagué l’accessoire, je plonge de suite à l’essentiel. Quand je vois autour de moi, la masse absorbée par le quotidien et le matériel je me marre.
Chaque matin quand je fuis mon taudis et que je suis contraint de croiser mes «semblables» j’ai un haut le cœur. Une aigreur fielleuse me monte du fion. Fruit de l’indignation des cœurs forts et puissants (Mimile Zola dans le texte) Détestation légitime de ces pauvres épaves formatées, inconscientes de leurs conditionnements, pendues à leurs manies. Dépouillez-les de ces oripeaux, nus comme des vers, il n’y a rien. Des zéros en nombre. Des zéros évidés, translucides, évanescents. Des corps qui n’abritent rien.
Dire que je marine dans cette mare fétide et contaminatrice. Mais, avant de servir de pâture à la vermine dans une fosse publique, il faut que j’accouche mon exécration de l’autre, le dégoût que vous m’inspirez jusqu’à l’écœurement. Picaro bouffon, j’assume et m’amuse de vos lâchetés et faiblesse. Saine haine tu m’es moteur. Deux désagrégés en lettres, sœur Anne (Boquel) et Etienne Kern viennent de commettre (sic) Une histoire des haines d’écrivains. Ils relèvent : la haine fait partie intégrante de la condition littéraire. Je revendique donc, légitimement, le titre de Céline du XXIième parrainé par Dieu la Rochelle avec comme tuteur Doriot. Mes exécrations pestilentielles relèvent donc de la création littéraire. Je suis un grand romancier original pas un Proust timoré et faux derche, pas un Dédé Gide cul-pabilisant tourmenté vu ses amitiés particulières au Maghreb. La faute à ces minots de crouilles avec leur jasmin à l’oreille. Craquants comme des petits beurs. Pas de bornes, pas de nuances dans l’abhorration qui aiguise et stimule ma plume bâtarde.
© JPP2012